Sauf que partir d'une définition comme ça c'est un peu pété. Déjà c'est la première fois que je vois l'asexualité décrite de cette manière, j'ai toujours vu que "asexualité = pas de désir sexuel tout court" mais que ça peut arriver que si, parfois, du coup ça arrive d'être ace et d'avoir des rapports, et ce même dans les milieux aces.
Je me permets de citer Evelirune avec qui j'en ai parlé : "c'est un des soucis du concept d'asexualité, c'est que certains le définissent comme le fait de ne pas ressentir d'attirance sexuelle envers des gens, et non le fait de ne pas avoir de libido. C'est pour ça que les demisexuels (= le fait de ne désirer les gens qu'à la condition d'avoir noué des liens psychologiques forts avec eux) sont considérés comme sur le spectre asexuel"
Ce qui est un peu bête, puisque ça correspond à à peu près tout le monde, puisque même pour les coups d'un soir tu crées un minimum de lien mdr. C'est pareil avec toutes les autres identités qu'on a créées sur le spectre asexuel, qui donnent l'impression que pour ne pas être sur le spectre asexuel, il faut penser au sexe H24 dans toutes les conditions...
J'ai quand même l'impression que cette définition qui veut dissocier la libido du fait d'être attiré-e ou non c'est une sorte d'excuse pour l'inclure dans les LGBT, genre "asexualité = orientation sexuelle envers personne, regardez y'a orientation sexuelle dans notre définition du coup ça marche on est LGBT" Je caricature volontairement mais c'est l'impression que ça donne Pour moi c'est pas une définition logique ?_?
Sauf que l'asexualité n'est pas une (absence d') orientation sexuelle, c'est un modificateur. Parce qu'on peut être ace et hétérosexuel-le, homosexuel-le, bi/pansexuel-le.
"Mais non Nore, ça c'est homo/hétéro/bi/panromantique !"
Ok sauf que je crois pas au modèle d'attirances séparées, déjà parce que ça part du principe que le "-sexualité" dans homo/hétéro/bi/pansexualité ça concerne uniquement le côté seksouel, or ça n'a jamais été le cas. Ça a toujours englobé l'attirance sexuelle ET affective.
Y'a d'autres trucs qui coincent avec ce modèle, mais je préfère laisser parler des gens qui ont plus travaillé la question que moi. Je me permets de citer à nouveau Eve :
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"Le problème du modèle d'attirance séparées, c'est que outre le fait qu'il revient à des définitions pathologisantes de la première moitié du XXe siècle à base d'attirance morbide pour le sexe non procréatifs et de déviance, c'est surtout qu'il réessentialise le fait d'être LGBT
Concrètement t'as pleins de théoricien.nes qui, dans des genres très différents et sans nécessairement être d'accord entre elleux (Judith Bulter, Thomas Laqueur, Peter Drucker, Sébastien Chauvin, Louis-Georges Tin, Christine Bard…) ont travaillé ardemment à faire l'histoire de l'homosexualité (et donc également de l'hétérosexualité) en montrant qu'il ne s'agissait aucunement de concepts an-historique, au contraire. L'hétérosexualité, à la base pathologique ("attirance morbide pour le sexe opposé"), a commencé à être mise en valeur avec les avancées féministes, car les nouveaux droits de ces dernières (voter, travailler) faisaient craindre aux hommes et donc au pouvoir un risque de séparation (en gros que les femmes disent GTFO si c'est pour se faire exploiter au foyer autant vivre seule / avec d'autres femmes) . Là émerge le modèle de la femme au foyer heureuse dans son couple et sa sexualité, en réponse à des avancées dans le but de maintenir l'ordre social
Là aussi l'homosexualité commencera doucement a prendre le sens qu'on lui a connu pendant très longtemps: une déviance
Parlons-en des étiquettes d'ailleurs, et pour ça petit historique. Bien qu'inventés à la fin du XIXe siècle par le militant homosexuel Karl Maria Kertbeny, les termes homosexualité et l'hétérosexualité tels qu'on les conçoit aujourd'hui sont des concepts très récents. En réalité, et jusqu'à l'époque Victorienne, les idéaux masculins et féminins étaient définis par leur distance vis-à-vis du désir, considéré comme anormal si n'ayant pas pour but la procréation. Jusqu'au début du XXe siècle, l'hétérosexualité est définie dans les dictionnaires médicaux non comme l'attirance pour les gens de l'autre sexe, mais comme "un appétit morbide pour le sexe opposé". Ce n'est que dans la première moitié du XXe siècle que cette dernière va se trouver être valorisée, afin de favoriser la stabilité et l'intimité matrimoniale en plus de lutter contre la dénatalité. Ce changement est permis par les transformations de la famille, qui passe de lieu de production (d'enfants et d'argent) et de transmission de patrimoine à lieu de consommation et d'usage libre du corps.
Aussi, les apologies de la pureté furent de plus en plus accusés d'encourager l'homosexualité en alimentant la méfiance envers l'autre sexe: la mise en avant de l'hétérosexualité est l'occasion de réaffirmer les frontières entre hommes et femmes. Ladite réaffirmation, quasi obsessionnelle aux USA, ayant pour cause les inquiétudes des hommes quant à leurs pouvoirs sur les femmes, et l'évolution du rôle de ces dernières dans la division du travail productif et domestique. De même, le nouvel idéal de la femme hétéro, douée de désir et épanouie dans son couple s'est construit en réponse à une peur de risque de sécession due à l'accession par de nombreuses femmes à l'indépendance économique. Cette libération restait cependant limitée au cadre du mariage, et il faudra attendre les années 60 et la ""libération sexuelle"" pour que la sexualité hétéro se retrouve valorisée pour elle même; élargissant de fait les frontières de la normalité sexuelle mais renvoyant aussi pour plusieurs décennies l'homosexualité dans un espace déviant et pathologique aux contours plus étroits. La figure du pervers devient celle de l'homosexuel masculin, et l'orientation sexuelle n'est désormais plus fondée sur la norme sociale mais sur le désir. Si les anciens interdits reconnaissaient, en creux, qu'ils prohibaient quelque chose d'universellement désirable et que la morale consistait à ne pas y succomber, les hétéros se vivent hétéros par inclinaison naturelle et non par contrainte sociale, ce qui a pour effet de transformer l'homosexualité en nature alternative à l'hétérosexualité, et non comme un spectre intérieur menaçant chaque hétérosexuel.
Paradoxalement: ce changement les rapproche aussi en les dotant de propriétés communes: les deux sont désormais des dispositions individuelles qui concernent le désir indépendamment d'une éventuelle activité sexuelle, et sont théoriquement sans lien avec les performances de genre et sans lien avec d'autres attributs culturels.Les deux sont également le fruit d'une nouvelle conception des relations sexuelles, de l'amour et du couple.
Plus tard, le biologiste Alfred Kinsey formulera sa version de ces nouveaux critères de classement de la sexualité. Tout les les présentant comme une réalité anhistorique (= qui existe en dehors de tout contexte culturel et temporel), sa méthode fait apparaitre homosexualité et hétérosexualité non comme des catégories étanches mais comme deux pôles d'un éventail varié de pratiques de relations et de pratiques, qui peuvent varier au cours de la vie. L'idée de gradation constitue un évènement culturel et politique marquant: elle contribue à dé-pathologiser l'homosexualité et à faire progresser une conception symétrique des orientations sexuelles. De plus, la focalisation sur l'objet du désir laisse intacte la définition sexuée sur sujet : les gays sont bien des hommes, et les lesbiennes sont bien des femmes. Malheureusement, bien qu'elle semble rendre plus poreuses les frontières qui séparent hétéro et homosexualité, l'échelle graduée qui les sépare les constitue dans le même dans comme des pôles opposés d'un axe prenant pour objet de mesure le choix d'objet. Dans cet espace d'identification plus on est hétérosexuel moins on est homo, et vice versa.
Du fait en faisant cette historique on peut se poser plusieurs questions : à essentialiser les histoires de avec qui on couche, avec qui on relationne etc, on oublie un truc super important c'est que la société crée les catégories pour justifier de l'oppression et non l'inverse. Et de fait l'homophobie c'est pas une histoire de pas tolérer qu'une femme couche avec une autre femme, c'est de ne pas tolérer qu'une femme se soustrait à son rôle de femmes : être exploitée par un homme au sein du couple, couple qui est la clef de voute du patriarcat. Un homophobe en a rien à foutre de savoir si deux gays ou deux lesbiennes ken ou si iels se contentent de bisous timides: iels remettent en cause les rôles de sexe, iels remettent en cause la séparation sociale.
Et c'est précisément ça qui est intolérable
Autre problème du modèle d'attirance séparés, c'est qu'il atomise des vécus communs quant au positionnement social. Si on considère qu'une personne homoromantique / hétérosexuel est fondamentalement différente d'une personne homo/homo, alors ces deux personnes ne mettront pas leur vécu en commun (ou en tout cas plus difficilement) et passeront probablement plus de temps à se crêper le chignon sur l'existence supposée d'une amatonormativité qu'à réfléchir sur ce qui fait que les deux ont peur de tenir la main de leur partenaire dans la rue: l'homophobie"
Du coup on peut être ace et cishet, du coup ça bloque un peu, m'voyez. C'est pour ça qu'être asexuel-le ne nous rend pas
de facto LGBT.
Alors comme je voudrais éviter qu'on me fasse dire ce que j'ai pas dit,
oui, l'asexualité existe, évidemment.
Oui, les problématiques liées à ça existent.
Non, ces problématiques ne sont pas liées aux problématiques LGBT, elles sont liées aux problématiques
féministes (qui recoupent régulièrement les problématiques LGBT hein, on est d'accord), dans le sens où l'oppression que subissent les aces est liée à l'injonction à la sexualité (hétéro), à la fréquence, au non respect du consentement, etc. Il n'y a donc pas à proprement parler d'oppression spécifique aux aces (d'où le fait que le terme acephobie soit bancal), car l'oppression qu'iels subissent est la même que, au hasard, toutes les femmes hétéro non-aces, sauf qu'iels la subissent de manière plus fréquente. Iels subissent une oppression, mais pas en tant qu'aces.
J'ai un peu dévié du sujet initial mais ouais effectivement au bout d'un moment faudrait voir à s'entendre sur les définitions, et dans le mouvement LGBT c'est bien LE truc qui pose problème ces temps-ci...