Les Chants de Maldoror de Lautréamont. Extraordinaire. J'ai mis du temps à le lire (deux mois), car il est trop riche, trop puissant, trop dévastateur, trop immense, trop tout (d'ailleurs il semble fondé sur l'hyperbole) et aussi, faut l'avouer, parfois un peu répétitif et/ou avec des passages un peu longuets, j'ai pu m'ennuyer pendant quelques dizaines de pages. Mais c'est sublime. Une grande leçon de style et même ça va au-delà, c'est une leçon de perception, de vision. Une succession de rêves d'horreur, une grandeur au-delà de tout.
A chaque page, des passages incroyables, inouïs (je choisis des passages softs exprès mais il y en a des carrément gores bien-sûr, ne pas oublier que c'est un livre sur le mal...) :
"Mais, après quelques instants de comparaison, je vis bien que mon rire ne ressemblait pas à celui des humains, c'est-à-dire que je ne riais pas."
"Je le connais, le Tout-Puissant... et lui, aussi, doit me connaître."
"Il y a quelqu’un qui observe les moindres mouvements de ta coupable vie ; tu es enveloppé par les réseaux subtils de sa perspicacité acharnée. Ne te fie pas à lui, quand il tourne les reins ; car, il te regarde ; ne te fie pas à lui, quand il ferme les yeux ; car, il te regarde encore."
"Chaque jour, je ne manquerai pas de prier le ciel pour toi (si c'était pour moi, je ne le prierai point)."
"Après avoir parlé ainsi, Maldoror ne sort pas du temple, et reste les yeux fixés sur la lampe du saint lieu… Il croit voir une espèce de provocation, dans l’attitude de cette lampe, qui l’irrite au plus haut degré, par sa présence inopportune. Il se dit que, si quelque âme est renfermée dans cette lampe, elle est lâche de ne pas répondre, à une attaque loyale, par la sincérité. Il bat l’air de ses bras nerveux et souhaiterait que la lampe se transformât en homme ; il lui ferait passer un mauvais quart d’heure, il se le promet." mdrrr mais à quel point c'est du génie ?
Et aussi : "Lui-même, épouvanté (car, il ne croyait pas que sa langue contînt un poison d’une telle violence), il ramasse la lampe et s’enfuit de l’église. Une fois dehors, il aperçoit dans les airs une forme noirâtre, aux ailes brûlées, qui dirige péniblement son vol vers les régions du ciel. Ils se regardent tous les deux, pendant que l’ange monte vers les hauteurs sereines du bien, et que lui, Maldoror, au contraire, descend vers les abîmes vertigineux du mal… Quel regard ! Tout ce que l’humanité a pensé depuis soixante siècles, et ce qu’elle pensera encore, pendant les siècles suivants, pourrait y contenir aisément, tant de choses se dirent-ils, dans cet adieu suprême ! Mais, on comprend que c’étaient des pensées plus élevées que celles qui jaillissent de l’intelligence humaine ; d’abord, à cause des deux personnages, et puis, à cause de la circonstance. Ce regard les noua d’une amitié éternelle. Il s’étonne que le Créateur puisse avoir des missionnaires d’une âme si noble. Un instant, il croit s’être trompé, et se demande s’il aurait dû suivre la route du mal, comme il l’a fait. Le trouble est passé ; il persévère dans sa résolution ; et il est glorieux, d’après lui, de vaincre tôt ou tard le Grand-Tout, afin de régner à sa place sur l’univers entier, et sur des légions d’anges aussi beaux. Celui-ci lui fait comprendre, sans parler, qu’il reprendra sa forme primitive, à mesure qu’il montera vers le ciel ; laisse tomber une larme, qui rafraîchit le front de celui qui lui a donné la gangrène ; et disparaît peu à peu, comme un vautour, en s’élevant au milieu des nuages."
Honnêtement c'est un texte tellement sombre que je trouve ça presque inconfortable d'en publier des extraits dans un cadre tout rose. xD