Yosh,
Sur le sujet du rapport au corps des femmes, j'ai tendance à être d'accord avec Sissi, Norellenilia et HelevegeN. Ça me pose problème de faire porter aux meufs (ou même à des meufs) le poids de la responsabilité du fait que les femmes soient avant tout vues comme des corps.
Je veux dire, autant il me semble indiscutable que ce genre de concours soit lié à l'objectivation des femmes (lire à ce sujet cette excellente série d'articles: https://antisexisme.net/2013/08/13/objectivation-1-2/, autant dire que c'est la faute des meufs qui participent à ce genre de concours me semble franchement aventureux.
Les discours à base de "les femmes sont le corps, les hommes sont l'esprit" (et donc les femmes n'en ont pas, d'esprit, du coup ce n’est pas vraiment des citoyennes hein mdlol) on les retrouve chez Aristote ou Thomas d'Aquin par exemple, et je suis presque sûre qu’il n’y avait pas de concours de Miss dans la Grèce antique
Après soyons clair, je ne pense pas que les femmes puissent utiliser le patriarcat "à leur avantage". Jouer avec ses codes pour s'en sortir ou améliorer leur situation oui, mais elles restent perdantes.
On a eu un joli exemple récemment avec Pamela Anderson. Cette meuf a une fondation depuis des années, et a sorti y'a deux week-ends une analyse politico-socio-historique (oui oui) du mouvement des gilets jaunes. T'as des milliers de gens qui se sont étonnés que cette meuf en soit capable. Peu importe ce qu'on peut faire, les dominants sont sans cesse ramenés à leurs stigmates de domination.
Tu as parlé de Taubira, elle a été ramenée à sa couleur de peau ou son sexe (traitée de Guenon, accusée de vouloir désunir le territoire national en faisant se rebeller les DOM TOM et donc d'être une traitresse à la nation, elle a été qualifiée de "non baisable", accusée d'être frustrée sexuellement ...) comme quoi pile ou face, on perd quand même.
En fait, ce qui m'énerve un peu dans ce discours, c'est qu’outre le fait que tu occultes totalement beaucoup de faits liés au patriarcat en les qualifiant de "choix personnels" (parce que oui désolée mais l'hétérosexualité comme régime politique est une clef de voute BEAUCOUP plus importante que les concours de miss dans le maintien de la mise en place du patriarcat. Si ce point t'intéresse je développe un peu ce point plus bas et ça ne me dérange pas de le faire davantage.
De même, ton premier message paradoxalement ("toutes les meufs sont belles") renforce cette idée: c'est important pour les meufs d'être belles. Les discours à base de "tous les mecs sont beaux" (à part dans les milieux trans dans une logique de prise de confiance en soi) ça n'existe purement et simplement pas. Ou alors c'est excessivement marginal. D'ailleurs on va demander à un mec d'être séducteur et une femme séduisante (ce bon vieux rapport actif / passif miam), mais bon je m'égare.
Pareil, tu vas accuser les meufs d'aller à miss France par... appât du gain. Alors je suis désolée de venir avec mes gros sabots mais la femme vénale c'est un trope misogyne vieux comme le monde.
Peut-être que certaines le font, mais est-ce vraiment la question à se poser? N'est-il pas plus judicieux de se demander pourquoi, dans un monde où on fait comprendre aux femmes depuis qu'elles sont mioches que leur valeur se trouve dans leur capacité à être désirable pour les hommes, certaines en viennent à penser que le meilleur moyen de briller, c'est sur un podium en maillot de bain ?
Dans un monde où nous valons toujours moins : moins intelligentes (askip on est trop émotives et on a pas le cerveau bien connecté), moins payées, que ce soit à travail égal ou dans le fait que les filières féminines soient dépréciées d'un point de vue statut ou salaire, avec une progression dans les échelons plus lente, le tout en étant ramené sans cesse à un objet de désir (slt le harcèlement sexuel) ou à leur statut de poule pondeuse / épouse (obligation de faire et de s'occuper des enfants, du foyer et du mari), que certaines femmes se disent que c'est le meilleur moyen de s'en tirer en étant relativement protégée n'a rien d'étonnant.
Autre truc extrêmement misogyne (oui désolée) c'est que tu considères que les femmes doivent montrer qu'elles "méritent" d'être les égales des hommes. Mais l'égalité ce n’est pas un truc sous condition, c'est un dû. Même la dernière des connes mérite d'être payé à hauteur de son travail, même la dernière des meufs superficielles mérite d'être vu comme autre chose qu'une paire de nichons avec des pattes.
D'ailleurs, on leur demande aux hommes s’ils la méritent, leur place? Bien sûr que non, c'est seulement aux groupes socialement inférieurs qu'on demande d'être "comme les dominants" (ici: les hommes).
Sauf que c'est impossible.
Le statut inférieur des femmes n'est pas dû au fait que certaines (ces connes) salissent notre image ou je ne sais pas quoi. Il vient de l'exploitation que les hommes nous font subir, dans le couple hétérosexuel. De l'assignation au foyer et aux tâches qui vont avec: travail domestique, soin aux autres et particulièrement aux enfants et aux vieillards. Le fait que socialement "notre place" est avant tout au foyer a un double effet:
- D'une part, ça permet aux hommes de déléguer totalement ou quasi ce travail sur leur femme, et donc de ne pas avoir à s'en soucier pour se consacrer entièrement à leur carrière. Du coup, vu qu’historiquement le pouvoir a toujours été dans leurs mains, les postes à hautes responsabilités sont pensés par et surtout POUR des hommes. Réunions tard, responsabilités sociales dans les bureaux incompatibles avec le fait de s'occuper d'un enfant (oui, aller prendre le café avec tes collègues casse-pieds de la compta pour ta carrière c'est important), sans parler qu'une partie des liens entre collègues au taff va se faire sur le dos des meufs (salut les chefs qui font des blagues sur la longueur de la jupe de la secrétaire).
- D'autre part, les femmes assument ce travail (il faut bien que quelqu'un le fasse et les hommes sont très doués pour freiner des quatre fers) et ont donc, mécaniquement, moins de temps / énergie / force à consacrer à la leur, de carrière. Sauf à être assez riche pour faire appel à des femmes plus pauvres qu'elles pour être nourrice ou domestique, et encore ce n'est que partiel.
Sans compter que même comme ça, des stigmates pèsent sur leur carrière: la peur de la grossesse (ou plutôt de ce qui suit la grossesse : aka le congé parental, vu que là encore c'est la femme qui s'y colle seule), ou l'idée que le travail d'une femme est toujours un "salaire d'appoint" tandis que celui d'un homme serait le salaire principal dans un couple. Ainsi, on observe que, lors d'un mariage ou de la naissance d'un enfant, le salaire de l'homme augmente (une bouche de plus / une femme à nourrir !) tandis que celui de la femme stagne ou diminue.
Aussi, demander aux femmes de réussir "autant que les hommes" pour mériter le même statut revient en réalité à leur demander d'en faire PLUS que les hommes: d'assurer sur les deux plans, travail salarié et travail domestique, et avec le sourire s'il vous plait car comme chacune le sait le second est dans notre nature.
En plus (et le plus drôle c'est que tu entérines cette idée) les domaines féminins valorisés sont vus soit comme "naturels" (et donc paradoxalement rabaissé, on ne paye pas ou on ne reconnait pas comme compétence un truc qui relève de la nature des gens) soit vu comme superficiel. Mes camarades l'ont relevé, mais je ne vois pas pourquoi ça :
Ça serait moins de l'art que ça :
De manière plus formelle, y'a eu de très jolies études qui montrent comme quoi une compétence (sourire en toute circonstance quand on est hôtesse de l'air par exemple) n'est pas valorisée pour les femmes. On parle d'ailleurs de travail émotionnel.
Pareil, autre ressort patriarcal: monter les femmes les unes contre les autres. Nous DEVONS apprendre à faire preuve de sororité entre nous toutes, c'est primordial. Sinon comment construire une conscience de classe? Comment construire une révolte? C'est bien simple c'est impossible. Si nous passons notre temps à juger la vie de nos sœurs plutôt qu'à nous demander ce qui nous unit (sans nier les différences de classe/race/ orientation sexuelle) et comment lutter ensemble, le féminisme n'ira nulle part.
Je ne sais pas si t'as remarqué, mais entre eux les hommes sont extrêmement solidaires (tout comme les bourgeois, d'ailleurs). Tant qu'on sera incapable de faire pareil et de créer un rapport de force puissant, assez puissant pour changer en profondeur les structures de l'état et de l'organisation du travail, on n’abolira pas le patriarcat.
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Perso je ne vois pas de souci à gratter des avantages matériels à des pigeons. Oui faut apprendre aux meufs à se défendre (parce que tant que les mecs ne risqueront rien ils continueront de nous agresser, de nous violer et de nous tuer. Mais ce n’est pas un truc à penser à l'échelle individuelle: nous devons être solidaires entre nous pour n'être jamais seule, pas être dans une logique de "si tu ne sais pas te battre mais que tu vas en boite tu cherches"), mais perso les chacals qui pensent pouvoir m'acheter avec du jus d'abricot (oui je ne suis pas très alcool) j'ai aucun chill avec.
On est moins payé qu'eux, ils le savent et s'en servent pour avoir du pouvoir sur nous en pensant nous acheter, autant s'en servir si on peut retourner le truc sans risque et avec un coût minime. Ce qui ne veut pas dire que cette situation n'est pas basée sur l'existence d'un rapport de force qui joue en notre défaveur, et ce qui veut encore moins dire que ce dernier s'inverse temporairement. Tirer un marron du feu ne veut pas dire que ce dernier est éteint et que le marron n'est pas chaud.
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Pour ce qui est de la prostitution (qui est un sujet interdit donc je fais vite) ça fait que maintenir l'idée que le corps des femmes est un bien qui s'achète et s'échange. Étonnant de pester contre les concours de beauté et de ne même plus voir les échanges économico-sexuels sous leur forme la plus exacerbée. Pareil, se concentrer sur la très petite proportion qui fait réellement ça par choix (pas de traite, pas de nécessité vitale ou quoi) me semble au mieux naïf, au pire de mauvaise foi. Et pourtant je suis loin d'être pour la prohibition (à ne pas confondre avec l'abolition, merci d'avance)
Sur ce sujet, lire : http://www.crepegeorgette.com/2014/04/07/paola-tabet-grande-arnaque-sexualite-femmes-echange-economico-sexuel/
http://revueperiode.net/sur-le-travail-sexuel-une-perspective-feministe-revolutionnaire/
Et
http://revueperiode.net/le-travail-du-sexe-contre-le-travail/
Et comme ce post est encore beaucoup trop long, voici un chat qui fait du moonwalk: https://twitter.com/fluff/status/1067931666943959040/video/1
Dernière modification par Evelirune (Le 12-12-2018 à 12h15)