@Nannyehi
Evelirune, je te remercie de toutes ses infos mais je suis un peu étonnée, comme Zicielka mon choix n'est pas motivé par des raisons politiques (même si j'aimerais que ça bouge certes...) mais par le fait qu'au bout de longues, longues, si longues années à me sentir mal dans mon genre j'ai décidé de secouer ce fardeau en reprenant le pouvoir sur ce que je suis: un être humain, point c'est tout. Ce n’est pas seulement lié aux stéréotypes de genres mais aussi aux caractéristiques biologiques de genres... Je veux être libre.
Oula j'ai l'impression qu'il y a quiproquo. Je ne dis pas qu'il faut faire le choix de transitionner pour des raisons politiques (grand dieu quelle horreur de penser que la vie des dominé.e.s doit être uniquement tourné vers le politique et sa violence intrinsèque) mais que le choix du type de non-mixité à adopter doit se faire en fonction des combats que l'on choisit de mener.
Parce que bon, la non mixité c'est un outil militant normalement hein ^^
Par exemple, inclure toutes les personnes intersexes qui ont subies de la chirurgie génitale / des traitements hormonaux forcés peut faire sens pour parler de mutilations gynécologiques et des mauvais traitements médicaux au sens large, mais pas pour parler, par exemple, du couple comme espace de pouvoir. Pourtant les deux sujets sont liés aux problématiques féministes.
Enfin, c'est personnellement un souci que j'ai avec une part non négligeable de la théorie queer. A postuler que ce sont aux minorités de genre de "performer" leur existence dans une logique de micro-résistance, bon déjà perso je trouve pas ça politiquement pertinent dans la mesure où pour moi le seul levier est et a toujours été l'action collective et organisée (attention cependant car il existe des mouvements queers la pratiquant, l'exemple le plus connu étant sans doute Act Up) mais surtout parce que ça place les dominé.E.s, seulEs, face à la violence sociale qu'implique la remise en cause des catégories hommes / femmes. Perso considérer que c'est à des personnes déjà marginalisées et précarisées de se mettre encore plus en danger exposant leur """anormalité""" seul.e.s contre tous pour un effet pour le moins incertain me rend très dubitative.
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Ananas002 mamzellewikette95 et
Zicielka Pour répondre "rapidement" (la rumeur dit que je suis incapable de répondre en moins de trois pages et en moins d'un mois, et je dois bien dire que... bah c'est pas faux) :
.... ok le rapidement était un pur mensonge. Préparez vous, ça va être long. Du coup j'vais mettre des titres par parties parce que mdr.
Féminisme intersectionnel? - Ce que j'essaie de dire c'est que le "féminisme intersectionnel", ça n’a pas vraiment de sens. Outre le fait que l'invention du concept s'inscrive dans un contexte géographique et temporel précis (les USA de la fin de années 80), Crenshaw a surtout cherché à montrer comment la loi rend naturelles les catégories de genre et de race, et surtout comment le croisement de plusieurs facteurs créent une nouvelle position sociale, non réductible à la somme des parties croisées et non reconnue par le droit. Par-là, elle a montré que les luttes avaient tendance à être monothématiques, à ne prendre comme sujet de référence que la femme blanche de classe moyenne sup' dans le cadre du féminisme, l'homme noir dans le cadre de l'antiracisme, et que les formes particulières que prenaient cette altérisation ne pouvaient être combattues de la sorte. Elle montre aussi comment ces deux luttes pouvaient parfois apparaitre comme contradictoires, en prenant l'exemple des violences conjugales: l'effort des féministes de politiser ce sujet pour les femmes de couleur pouvant aller contre les luttes antiracistes, qui cherchent à sortir de l'image d'une communauté faite d'hommes sauvages et violents, tout en travaillant à maintenir une communauté soudée sur une base identitaire. Cette distension étant évidemment épuisante tant d'un point de vue militant que moral pour les femmes noires.
Sauf que, et outre le fait que le terme est de plus en plus utilisé hors de ce contexte (encore une fois perso ça me pose soucis de voir que la plupart des gens qui s'en réclament aujourd'hui soient blancs et que l'intersection race/genre ait tendance à passer au second plan), outre le fait que le terme est utilisé de plus en plus n'importe comment pour montrer à la face de twitter à quel point on est inclusif et sAaFe / W00ke... baah l'intersectionnalité c'est une méthode d'analyse et uniquement une méthode d'analyse. Elle ne dit rien de son objectif politique, et c'est précisément pour cela qu'il est pour moi abusif de parler de "féminisme intersectionnel" en tant que courant, courant qui est défini par le fait ET d'avoir une méthode d'analyse, ET un objectif, ET les grandes lignes d'une méthode d'action. Ce n'est pas le cas de l'intersectionnalité, qui n'a que le premier.
Pour le dire plus vulgairement, c'est un moyen de performer le fait que l'on s'inscrive dans certains cercles militants virtuels sans trop se mouiller sur le caractère intrinsèquement clivant du fait d'avoir choisi un cadre d'analyse (parce que bon, en vrai à part les extrêmes centristes et les gens de droite PERSONNE n'est contre l'intersectionnalité).
Aussi, on voit des gens se réclamer de l'intersectionnalité vouloir que les femmes noires se taillent la part du lion dans les entreprises. On voit des gens parler d'intersectionnalité et dire que faire grève et un privilège (?) petit bourgeois (!!!). On trouve des gens qui s'en réclament être réformistes, d'autres être communalistes ou appellistes. On trouve des gens qui se réclament du féminisme intersectionnel qui visent la reconnaissance et la visibilité de toutes les "identités marginalisées", d'autres qui pensent que le noyau de l'exploitation est le fait qu'une classe tire des bénéfices du travail d'une autre et que c'est là le noyau auquel il convient de s'attaquer.
Autre constat que je fais malheureusement, c'est que se revendiquer intersectionnel, généralement c'est dans l'objectif d'être "inclusif". Or, et outre le fait que je déteste ce mot (sérieux ça renvoie exactement à ce que j'expliquais dans mon post d’avant : le général contre le particulier, général qui ferait la grâce d'inclure les parias, SU-PER), à aucun moment ne se pose la question de l'objectif politique. Parce que bon il me semble que je l'ai déjà dit, mais la non-mixité normalement l'objectif c'est de se réunir entre personnes dont les intérêts matériels sont les mêmes. Qui, pour utiliser du gros vocable marxiste moche, font partie de la même classe, de sexe par exemple.
Alors certes ces classes ont des contours flous et diffèrent selon notre place sous d'autres aspects (macro, comme la race ou la classe sociale, mais aussi à l'échelle d'un quartier, d'un pays ou d'une ville par exemple), et donc dire que telle forme de non-mixité est supérieure à telle autre est un non-sens. C'est justement pour ça qu'il faut se demander les intérêts de quelle classe on entend défendre lors d'actions précises. Des femmes ? Des minorités de genre au sens large ? Des femmes noires ? La non-mixité choisie doit, pour moi se subordonner à ce qu'on a l'intention de faire. De même pour le choix de pratiquer la non-mixité d’ailleurs ; y'a des fois où on a juste besoin de monde pour faire pression et où faut pas hésiter à recruter tout le monde, même si le dit monde peut être casse-pied, pour parler poliment.
De même, puisque la non-mixité est un outil militant, il est totalement abusif selon moi d'utiliser ce vocable pour désigner des groupes affinitaires dont l'objectif n'est pas la mise en place d'un organisme ayant pour objectif le lobbyisme en faveur d'une transformation sociale. Si de tels groupes existent (et ils existent), il est selon moi plus juste de les qualifier de groupes affinitaires construits sur des bases identitaires ou militantes, et non "d'espace non mixtes".
En outre, cette version déformée de l'intersectionnalité a pour effet de créer une figure de "grand méchant loup", de dominant ultime que serait le mec blanc, cis, hétéro, valide, bourgeois (+ dyadique (= le "contraire" d'intersexe), + neurotypique + ...) comme si c'était lui, et lui seul, qui était oppresseur. Du coup j'ai déjà vu des gens réclamer l'inclusion des hommes cis gays dans les espaces non-mixtes féministes parce qu'ils subissent aussi le sexisme (!!!). La question de "qui exploite / qui profite matériellement de l'exploitation des femmes?" n'est plus posée. Pourquoi les LGBTQIphobies existent non plus. Et personnellement je trouve ça dommage et dangereux de ne plus réfléchir en termes de rapports sociaux mais d'étiquettes individuelles, déclinables à l'infini sans se poser la question de leur utilité au-delà d'une volonté de se décrire soi-même et d'obtenir une "légitimité" au sein d'un groupe.
LGBTI, histoire, cohérence du mouvement, ressenti, phoque et asexualité Parlons-en des étiquettes d'ailleurs, et pour ça petit historique. Bien qu'inventés à la fin du XIXe siècle par le militant homosexuel Karl Maria Kertbeny, les termes homosexualité et l'hétérosexualité tels qu'on les conçoit aujourd'hui sont des concepts très récents. En réalité, et jusqu'à l'époque Victorienne, les idéaux masculins et féminins étaient définis par leur distance vis-à-vis du désir, considéré comme anormal si n'ayant pas pour but la procréation. Jusqu'au début du XXe siècle, l'hétérosexualité est définie dans les dictionnaires médicaux non comme l'attirance pour les gens de l'autre sexe, mais comme "un appétit morbide pour le sexe opposé". Ce n'est que dans la première moitié du XXe siècle que cette dernière va se trouver être valorisée, afin de favoriser la stabilité et l'intimité matrimoniale en plus de lutter contre la dénatalité. Ce changement est permis par les transformations de la famille, qui passe de lieu de production (d'enfants et d'argent) et de transmission de patrimoine à lieu de consommation et d'usage libre du corps.
Aussi, les apologies de la pureté furent de plus en plus accusés d'encourager l'homosexualité en alimentant la méfiance envers l'autre sexe: la mise en avant de l'hétérosexualité est l'occasion de réaffirmer les frontières entre hommes et femmes. Ladite réaffirmation, quasi obsessionnelle aux USA, ayant pour cause les inquiétudes des hommes quant à leurs pouvoirs sur les femmes, et l'évolution du rôle de ces dernières dans la division du travail productif et domestique. De même, le nouvel idéal de la femme hétéro, douée de désir et épanouie dans son couple s'est construit en réponse à une peur de risque de sécession due à l'accession par de nombreuses femmes à l'indépendance économique. Cette libération restait cependant limitée au cadre du mariage, et il faudra attendre les années 60 et la
""libération sexuelle"" pour que la sexualité hétéro se retrouve valorisée pour elle-même; élargissant de fait les frontières de la normalité sexuelle mais renvoyant aussi pour plusieurs décennies l'homosexualité dans un espace déviant et pathologique aux contours plus étroits. La figure du pervers devient celle de l'homosexuel masculin, et l'orientation sexuelle n'est désormais plus fondée sur la norme sociale mais sur le désir. Si les anciens interdits reconnaissaient, en creux, qu'ils prohibaient quelque chose d'universellement désirable et que la morale consistait à ne pas y succomber, les hétéros se vivent hétéros par inclinaison naturelle et non par contrainte sociale, ce qui a pour effet de transformer l'homosexualité en nature alternative à l'hétérosexualité, et non comme un spectre intérieur menaçant chaque hétérosexuel.
Paradoxalement, ce changement les rapproche aussi en les dotant de propriétés communes: les deux sont désormais des dispositions individuelles qui concernent le désir indépendamment d'une éventuelle activité sexuelle, et sont théoriquement sans lien avec les performances de genre et sans lien avec d'autres attributs culturels. Les deux sont également le fruit d'une nouvelle conception des relations sexuelles, de l'amour et du couple.
Plus tard, le biologiste Alfred Kinsey formulera sa version de ces nouveaux critères de classement de la sexualité. Tout en les présentant comme une réalité anhistorique (= qui existe en dehors de tout contexte culturel et temporel), sa méthode fait apparaitre homosexualité et hétérosexualité non comme des catégories étanches mais comme deux pôles d'un éventail varié de relations et de pratiques, qui peuvent varier au cours de la vie. L'idée de gradation constitue un évènement culturel et politique marquant: elle contribue à dé-pathologiser l'homosexualité et à faire progresser une conception symétrique des orientations sexuelles. De plus, la focalisation sur l'objet du désir laisse intacte la définition sexuée sur sujet : les gays sont bien des hommes, et les lesbiennes sont bien des femmes. Malheureusement, bien qu'elle semble rendre plus poreuses les frontières entre hétéro et homosexualité, l'échelle graduée qui les sépare les constituent dans le même dans comme des pôles opposés d'un axe prenant pour objet de mesure le choix d'objet. Dans cet espace d'identification, plus on est hétérosexuel moins on est homo et vice versa.
Pourquoi je vous raconte ça ? Parce que bon en vrai à part pour briller en société on pourrait s'en foutre. Parce que ce qui fait la cohérence politique du signe LGBT, c'est le fait de remettre en cause le genre, la hiérarchie sociale. C'est le cas de l'homosexualité, et c'est encore plus visible avec la transidentité. Ce n'est pas une histoire d'avec qui on couche, de qui on tombe amoureux et de comment on se ressent. Être LGBT, ce n'est pas faire partie de la grande famille des identités et des pratiques / attirances sexuelles qui sortent de "l'hétéronorme de relation" pour citer des théories en vue sur Twitter, c'est subir la réprobation sociale parce qu'on ne respecte pas les rôles genrés et leur hiérarchie intrinsèque. Or le genre, faut-il le rappeler, ce n'est jamais que le système de catégorisation hiérarchique séparant (chez nous) l'humanité en deux groupes, deux
classes de sexes, étanches et hiérarchisées, que sont les hommes et les femmes. Ces deux classes de sexe sont définies par les rapports d'exploitation qui les lie (les hommes tirent profit du travail gratuit des femmes): être une femme c'est faire partie de la classe de sexe exploitée par le patriarcat, être un homme faire partie de la classe exploiteuse, le lieu privilégié de cette exploitation se trouvant être le couple hétérosexuel, et toutes les différences entre les hommes et les femmes, perçues comme naturelles, ne sont en réalité que des constructions sociales s'auto-reproduisant dont le but est de maintenir en place cette hiérarchie sociale.
De fait, les personnes relationnant avec des gens de la même classe de sexe ne font pas ce qui est socialement attendu d'elles (exploiter / être exploité au sein du couple), et qui par leur existence remettent la naturalité du genre en question. Que ça soit dans les rapports qu'entretiennent les classes de sexe, ou dans l'étanchéité et l'immuabilité des catégories elles-mêmes (en (souhaitant) changer de classe de sexe, dit autrement en transitionnant). Là est pour moi le nœud de l'homophobie et de la transphobie, là est la cause de l'oppression des LGBTI.
... Et on va pouvoir en venir au sujet qui fâche: c'est précisément pour ça que, pour moi, les personnes asexuelles ne le sont pas.
Lien de l'image externe Mais avant ça disclaimer. Je sais que le discours que je vais tenir ici va être perçu par certain.e.s comme violent. Peut-être même certain.e.s ont-ils déjà cessé de lire à la phrase précédente en se disant "Bordel Eve elle est acephobe / elle invalide mon existence, choqué.e déçu.e.". Sauf que non (et en plus elle nie §§§), et pour plusieurs raisons.
Déjà, je ne dis pas que le ressenti de qui que ce soit n'existe pas, ou que le rapport de qui que ce soit à son corps, au corps des autres ou à la sexualité n'existe pas, ce serait un non-sens tant logique (je ne suis pas Akinator je ne devine pas ce qui se passe dans la tête des gens) que militant (expliquer aux gens la manière dont ils vivent leur rapport au corps social ou leurs relations inter-individuelles c'est un peu le summum non seulement du manque de respect mais aussi de la condescendance). De même, je ne remets aucunement en question le vécu, les violences, ou quoi que ce soit d'autre. Je les analyse différemment, c'est très différent.
Asexualité et ronchonceries Déjà premier problème, l'asexualité est définie non comme un rejet pur et simple des relations charnelles dans le couple, mais comme le fait de ne pas
ressentir d'attirance sexuelle envers les gens, ou de n'en ressentir qu'à certaines conditions, ce qui est très différent: de fait ça ne dit rien des pratiques effectives, ni de si on est consentent auxdites pratiques. Pire encore, dès lors que l'asexualité est pensée comme un spectre, les contours en deviennent flous (ce qui n'est pas un problème en soi, après tout c'est le cas de toutes les catégories de dominés) mais surtout est tellement englobante qu'au bout du compte on se retrouve à toustes être un peu asexuel.le.
Enfin, et c'est probablement ce qui me pose le plus de soucis, c'est qu'à essentialiser (= à ne plus la penser construite socialement, construction elle-même située dans le temps et l'espace) l'attirance sexuelle et le désir, l'asexualité ne permet plus de questionner le rapport compliqué que l'on peut avoir avec les relations intimes, notamment en raison d'une transidentité ou du fait d'être une femme. Les violences que tu as vécues font que ton rapport à la sexualité est conflictuel et varie de l'amour à la haine (ou se résume à la haine d'ailleurs)? Paf, tu es Caedsexuel ! Tu es une femme qui a intégré que pour coucher il fallait avoir des sentiments? Paf, tu es demisexuel ! T̶u̶ ̶e̶s̶ ̶u̶n̶ ̶v̶i̶o̶l̶e̶u̶r̶ ̶e̶n̶ ̶p̶u̶i̶s̶s̶a̶n̶c̶e̶?̶ ̶P̶a̶f̶,̶ ̶t̶u̶ ̶e̶s̶ ̶A̶p̶o̶s̶e̶x̶u̶e̶l̶ ̶(̶e̶t̶/̶o̶u̶ ̶P̶l̶a̶c̶i̶o̶s̶e̶x̶u̶e̶l̶)̶! Et si malheureusement vous pensez que je troll, je vous invite à rechercher lesdits termes sur Google, par exemple sur le forum AVEN.
Mais ce n'est pour moi pas le cœur du problème, celui-ci se trouve ailleurs. Certain.e.s ici ont peut-être vu passer des phrases outrancières à base de "aujourd'hui pour certain.e.s un mec hétéro polyamoureux aromantique est LGBT. De mon temps, on appelait ça un fuckboy" ou "n'oublions pas de représenter le Pape et les curés, qui sont asexuels et aromantique", qui bien que dans l'exagération pointent un fait pourtant essentiel: être asexuel, et encore plus aromantique, ce n'est pas remettre les rôles genrés en cause
en soi. Pour ça je vais devoir expliciter dans un cas où l'asexualité serait le seul marqueur:
- Supposons une femme hétéro et asexuelle, en couple. Effectivement, elle va subir une pression au "devoir conjugal" de la part de son conjoint. Effectivement, sa sexualité va être rendue pathologique. Mais est-ce dû au fait qu'il s'agisse d'une femme ou au fait que cette personne soit asexuelle? Les femmes "sexuelles" ne subissent-elles pas le même sort? Bien sûr que si. Le viol conjugal, il est pour toutes les femmes qui se "refusent" à leur conjoint. Que ce soit par asexualité, à cause du traumatisme d'un accouchement, d'une épisiotomie ou d'un traumatisme tout court, par fatigue due au boulot, ou parce qu'il y a la coupe du monde à la télé. De la même manière, la pathologisation de la sexualité féminine est probablement aussi vieille que le patriarcat lui-même (salut l'hystérie et les histoires d'utérus baladeur). Pareil pour le regard désapprobateur en raison de la sexualité, c'est loin d'être une spécificité (salut le spectre de la salope si tu as le malheur de coucher un peu trop, installe-toi prends une chaise), exactement pareil pour les violences correctives par exemple (ais-je vraiment besoin d'expliciter le "elle méritait son viol cette fille de petite vertu" qu'on a déjà toutes entendu je pense)
- Pour un homme hétérosexuel dans la même situation... bah si violences sexuelles il y a (et l'extrême rareté de la chose et le fait qu'elles ne fasse pas système est purement et simplement absent des discours asexuels, au contraire même), c'est bien plus à cause des mythes virilistes à base d’un homme ça a toujours envie. Mais leur cas est encore plus particulier. Si les femmes asexuelles refusent de fournir le travail sexuel attendu socialement d'elles, les hommes sont dans la situation inverse: ils refusent de le prendre. Cela n'est cependant aucunement incompatible avec d'autres formes d'exploitations (domestique, affective, charge mentale, whatever)... Ou, pour le dire plus grossièrement, ce qui va leur être reproché, c'est de ne pas dominer assez les femmes, de ne pas être assez
viril et donc... d'être un pédé, puisque la figure de l'homosexuel est la figure repoussoir chez les hommes, tandis qu'il s'agit de la salope chez les femmes. Cependant ce "manque" de domination peut parfaitement être invisible (sauf si vos collègues mettent des caméras dans votre chambre à coucher, ce qui est un excellent motif pour les poursuivre en justice) et peut même être compensé par une surperformance de la masculinité ou par des mythes sexistes ("je n’ai pas envie de m'engager, les femmes sont des emmerdeuses") par exemple.
Le ressenti est-il un bon outil? (je fais des rimes tavu). Essentialisme, déplacement du regard et anti-féminismeBref, ce qui m'emmerde dans les discours sur l'asexualité, ce n’est pas que les gens se définissent comme ils le souhaitent, ça m'est en soi complètement égal. C'est que ces discours aient des prétentions politiques (puisqu'iels parlent d'une oppression spécifique des asexuels, "l'acephobie", et des aromantiques, "l'amatonormativité"), qu'iels ont de fait un objectif de transformation sociale (faire disparaitre lesdites "oppressions")... Sauf que leur analyse n'est pas solide. Je pourrais aller dans des histoires un peu sales à base de comment David Jay, homophobe notoire, a fait rentrer la lettre A dans l'acronyme LGBTI, mais je ne pense pas que ça serait pertinent, après tout d'horribles personnes peuvent faire des choses très bien.
Le vrai problème, il est évoqué au-dessus. En inventant ses oppressions (car rappelons le l'oppression c'est
quelque chose de précis, pas un terme parapluie pour dire qu'on est pas assez visible dans la sphère publique), cela ne permet plus de penser dans quels contexte la sexualité est valorisée, dans quels contexte au contraire elle est sujette à opprobre sociale, et surtout chez qui et pourquoi. Les échanges charnels sont mis sur un pied égalitaire, ce qui est un non-sens absolu.
Un autre souci est de se baser sur comment l'individu se ressent, et non sur des faits matériels, c'est que nous ne sommes jamais oppressés uniquement sur la base d'un ressenti, mais à cause d'une position sociale. Je comprends tout à fait d'où vient à la base ce besoin d'intégrer le "ressenti" à l'analyse sur le genre (aka: pour essayer de "comprendre" la transidentité) mais c'est pour moi une impasse. Pour parler vulgairement, les causes de la transidentité, comme les causes de l'homosexualité d'ailleurs, on s'en fout. Quand bien même on arriverait à mettre la main dessus, dans tous les cas il y aura possibilité de pathologisation (c'est inné? C'est une maladie génétique ou un dérèglement des systèmes hormonaux ! C'est acquis? C'est dû à un traumatisme lors de la socialisation !), parce que justement le fait de chercher une cause est le
premier pas vers cette pathologisation: on recherche ce qui a bien pu causer cette "anormalité" plutôt que de se demander pourquoi la société considère que s'en est une: ce déplacement du regard ne peut à terme qu'entrainer que deux choses: la tolérance du pourquoi ces groupes sont différents et leur acceptation dans cette différence et non la disparition même des groupes comme entités sociales pertinentes, ou la recherche / mise en place de """thérapies""" de conversion.
On peut également noter le fait que ces définitions basées sur le ressenti sont par définition essentialisantes. Elles ont beau prétendre remettre en cause les normes sociales (le genre, ou l'hétéronormativité) elles ne font finalement que reprendre leur logique d'assignation. C'est particulièrement visible dans les
discours sur la non-binarité. Affirmer que lorsqu'on est "binaire" on se sent en adéquation avec son sexe, qu'on se sent "entièrement homme ou femme", c'est juste nier la violence et la contrainte qui vont de pair avec l'assignation sociale à un groupe de sexe où la manière d'être, de penser et d'agir ainsi que les interdits et les tabous sont des normes qui sont imposées par l'extérieur avec lesquelles on négocie toute notre vie durant et que l'on subit, particulièrement lorsqu'on est une femme.
On a ici le plus parfait exemple du danger qu'il y a à raisonner en termes de ressenti. Si les femmes, cis ou trans, se sentent "en adéquation avec leur sexe", alors soit les femmes sont stupides, car elles se sentent en adéquation avec le fait d'avoir des rôles sociaux entièrement façonnés pour justifier leur infériorité sociale et par le fait d'être considérées comme des humains de seconde catégorie, soit la catégorie "femme" existe en dehors de la relation d'exploitation qui la lie à la catégorie "homme" et fait sens en soi hors des contextes économiques et sociaux, et on a un discours essentialiste. Malheureusement force est de constater que ces discours sont attrayants, car très faciles à intégrer. Force est aussi de constater qu'ils donnent naissance à
de belles saloperies Saloperies car en plus de la pathologisation susmentionnée, on aura vite fait de faire du gate-keeping pour les personnes trans à base de oui votre cerveau / vos hormones ne sont pas comme il faut vous n’êtes pas vraiment trans. Or ça me semble "légèrement" aller contre le "changement d'état civil libre et gratuit pour toustes". Ou alors on re-pathologise. Bref, dans les deux cas ça pue.
Autre exemple, et désolée Zic, mais affirmer qu'on nait "homme ou femme" , "homo ou hétéro" ça rentre exactement là-dedans. Le mouvement féministe et LGBTI ont pris un siècle à théoriser que "on ne nait pas femme, on le devient", y compris voire même surtout le mouvement Queer (qui rappelons-le, est né du féminisme matérialiste, notamment via des figures comme Monique Wittig). Ce que tu affirmes là, c'est juste faire un doigt monumental à un siècle de recherche sur le genre et de militantisme féministe et LGBTQI. Alors je sais que c'est très Wooke actuellement de dire personne à utérus, mais perso je vois difficilement plus sexiste que de ramener les femmes à leur vagin et transphobe que de se focaliser à ce point sur ce qu'iels ont entre les pattes.
Surtout que bon, dire qu'il faut inclure les hommes trans dans l'injonction à faire des gosses pour moi c'est totalement à côté de la plaque. On a déjà oublié ce que Thomas Beatie s'est bouffé pour être le premier homme enceint? On a déjà oublié qu'il était vu comme un monstre (tout comme tous les LGBTI d'ailleurs) et que de fait je suis moyennement sûre que la société soit chaude à l'idée qu'iels se reproduisent? Que c'était probablement pour ça que pendant très longtemps la stérilisation des personnes trans était obligatoire pour le changement d'état civil et que celui-ci était possible uniquement si iels n'avaient pas d'enfants?
Désolée, mais là encore c'est un exemple typique de quand la volonté d'être "inclusif" rentre frontalement en contradiction avec le fait de faire de l'analyse sociale. Or le but du militantisme LGBTI, rappelons-le, c'est JUSTEMENT l'analyse sociale, puis la transformation sociale en se basant sur ladite analyse.
Btw, vu que je m'entends bien avec une des autrices du texte conseillé par
HelvegeN je lui ai envoyé ton message, et elle te demande de lire le texte avant d'en parler, et ce d'autant plus qu'elles n'excluent pas les non-binaires, parce que leur faire dire des choses fausses ce n’est pas très très Charlie.
(Petite parenthèse enfin, il se trouve que j'ai eu l'occasion de discuter avec un.e haut.e responsable de l'AVA, et que j'ai donc pu lui demander d'où venait ses concepts et définitions. C'est triste à dire, mais la plupart viennent de Tumblr ou de vidéo YouTube, et les "études" demandées par l'institut auraient de quoi faire rougir de honte n'importe quel étudiant.e de L1 de sociologie tant la méthodologie est honteusement mauvaise. Par exemple ici (le lien est en bas de la page) :
http://www.asexualite.org/asexualite/)
Bref ce n'est pas parce qu'un organisme a l'air officiel qu'il faut prendre ses propos sans recul critique. De même s’il l'est d'ailleurs (salut le questionnaire sur la biphobie de SOS homophobie)
Convergence des luttes et militantisme Pour ce qui est de la convergence des luttes, on va dire que je suis pessimiste mais je n'y crois pas. Je sais très bien que les luttes vues comme particulières se feront bouffer par la lutte des classes. En revanche je pense qu'il est possible qu'à force de pressions, il soit impossible de passer à côté des enjeux antiracistes ou féministes : il suffit de voir comme l'écriture non-sexiste devient de plus en plus présentes dans les tracts ou sur les affiches par exemple. En clair faut tellement noyauter les organes de contestation politique qu'il deviendrait impossible de passer outre nos revendications, et que le faire expose à un gros retour de flammes obligeant à se confondre en excuses.
Pour moi, la convergence des luttes est un mantra, une invocation formulée par les milieux militants plus que d'une réflexion véritable. Une déité vaguement définie dont l'invocation consiste à accorder une demi-heure de l'assemblée générale pour voter le droit de coller un paragraphe à la fin du compte-rendu parlant pêlemêle des luttes féministes, anticoloniales, de la situation en Palestine et sur la grève des postiers du coin sans aborder ses sujets avec la profondeur qu'ils méritent et sans y accorder le temps qui devraient l'être. La plupart du temps, l'appel à la convergence des luttes n'est qu'un moyen de s'offrir une occasion de performer à quel point notre groupe de militant.e.s est au fait de tous les sujets plutôt que de se demander comment être véritablement efficace.
En outre, la "convergence" ne s'invoque pas mais se travaille. Ce n'est pas en hurlant "grève générale" en tête de cortège qu'on la réalise mais en travaillant activement aux cotés des grévistes pour les aider à tenir les piquets et en remplissant les caisses de grève. Bref en mettant la main à la pâte sans prendre la main sur le mouvement.
Car c'est également quelque chose que l'on observe trop souvent: que les appels à la "convergence des luttes" soient en réalité une forme déguisée de "toustes derrière mon orga". J'ai encore souvenir des pavés écrits par des appellistes (un mouvement de la mouvance autonome bien qu'y étant minoritaire, qui considère que chaque manifestation doit être une occasion de s'en prendre aux institutions, aux flics et au pouvoir, généralement ils se réclament de gens comme le Comité Invisible et la revue Tiqqun) qui se plaignaient que le mouvement de la famille Traoré (pour les gens qui sont pas en France c'est une asso qui demande à faire la lumière sur la mort d'une personne morte entre les mains de la police, très probablement en raison de violences lors de son interpellation et de négligences graves, alors que l'état semble tout faire pour étouffer l'affaire, et qui plus globalement parle des violences policières en banlieue sur les personnes non blanches) ait pris la tête d'une manif parisienne, car ils ne respectaient pas les "règles" du black bloc, notamment en rejetant les dégradations et l'affrontement avec la police. Que les gens s'étant réunis derrière cette banderole auraient fait face à une violence exacerbée du fait de leur origine sociale et de leur couleur de peau n'est pas rentré dans la balance. Le fait qu'il y ait également dans le lot des personnes en situation irrégulière ou avec uniquement des titres de séjour non plus. Ils ne respectaient pas "leurs" règles, alors ils devaient aller derrière, ce qui aurait fait de cette manifestation la même que toutes les autres, avec toujours les mêmes qui attirent les projecteurs. Converger, c'est aussi mettre de l'eau dans son vin pour mettre sous lesdits projecteurs des gens que l'on ne voit pas et n'entend pas, ou pas assez, d'habitude. C'est aussi mettre son égo au placard. C'est aussi parfois perdre en radicoolité pour attirer des publics qui, normalement, ne viendraient pas.
Je suis totalement d'accord, mais je tiens quand même à préciser que même si oui, le gouvernement s'en fout des débats sur internet, le faire bouger n'est visiblement pas suffisant pour en arriver à une société égalitaire (terme assez flou selon moi d'ailleurs), comme on le voit quotidiennement avec par exemple les ravages de la culture du vi*l. Donc personnellement je trouve que même si militer en milieu privé n'aura pas de conséquences judiciaires, ça n'est pas moins du militantisme car ça permettra de faire bouger la société. D'autant plus que faire bouger le gouvernement n'est pas donné à tout le monde, c'est surtout donné à celleux ayant les ressources pour, ayant une voix qui va se faire entendre : et pour avoir une voix qui va se faire entendre, il faut une notoriété, chose que par exemple, comme tu l'as citée, CrêpeGeorgette a réussi à avoir grâce à son travail de "débats en milieu clos".
Ha mais quand je dis qu'il faut faire bouger les grosses structures ça ne passe pas que pour l'appareil législatif pur hein, ça serait complètement idiot de dire ça. Ça passe aussi par les budgets pour les associations de terrain, ça passe par des politiques publiques en faveur par exemple de la création d'EPHAD ou de places de crèches pour que les femmes puissent travailler et non mettre leur carrière entre parenthèse pour s'occuper des autres, ça passe par des programmes d'éducation sexuelle dans les collèges / lycées etc. Mais bon tout ça coute de la thune, donc faut au moins que ça soit voté dans le budget annuel. On a par exemple la dernière structure pour femmes battues du Loiret qui a dû fermer en juillet 2017 faute de fonds et une maison des femmes menacée de fermeture pour les même raisons y'a même pas un mois (elle a heureusement été sauvée temporairement par financement participatif), ça montre bien que les sous sont quand même le nerf de la guerre.
En revanche, je pense qu'il est naïf de croire que l'on change la société par de l'éducation. En pure déterministe, je pense que les structures font les humains, et non l'inverse. Aussi, si je crois profondément en l'utilité de la vulgarisation pour créer une conscience de classe chez les femmes, je crois également qu'il est naïf de penser qu'on peut mettre fin à la violence des hommes par la même voie, pour la simple et bonne raison que leurs intérêts divergent diamétralement des nôtres et que ce n'est pas en disant "arrêtez d'exploiter svp" qu'ils arrêteront de le faire.
En effet, ces derniers ne nous exploitent pas parce qu'ils sont "mal élevés", mais parce que c'est dans leur intérêt de le faire, et parce qu'ils en ont le pouvoir.
De la même manière, je ne pense pas qu'ils le fassent de manière totalement inconsciente (et des travaux comme ceux de Jaquemart, Thiers Vidal ou Dupuis-Deri m'appuient dans cette idée), mais plutôt qu'ils dressent des barrières pour ne pas voir les conséquences de leurs actions et/ou pour la justifier à posteriori ("elle est plus douée pour ces choses-là" / "oui mais j'ai vidé les poubelles la semaine dernière" / oui mais c'est parce que c'est le rôle des femmes" ...).
Bref pour moi on n’obtiendra rien en attendant leur bon vouloir, il faut donner aux femmes les moyens d'être libres (instruction, indépendance financière, possibilité de divorcer, de travailler...) en créant des structures pour que l’État puisse prendre en charge le travail qu'on leur assigne (crèches etc.), pour que le monde du travail soit moins pensé pour les hommes (baisse générale du temps de travail, réaménagement des entreprises etc.), et pour s'organiser collectivement.
En parallèle il faut bien sûr de l'éducation, mais aussi voire surtout utiliser l'appareil incitatif (voire répressif) pour forcer la main des hommes à faire leur part du boulot.
Militantisme affinitaire et recherche de la sécurité Après quand je dis "discuter en milieu privé" je ne pensais pas à Crêpe Georgette ou au Seum (lisez les sérieux
*force*), qui font un travail formidable et tourné vers l'extérieur, justement dans cet objectif de massification et de formation. Je parle de cette tendance qu'à une part du militantisme féministe, lgbt et antiraciste à se refermer sur lui-même dans des "safe space", entre gens qui sont déjà sinon formés, au moins sensibilisés à certaines problématiques.
Or pour moi la recherche du
Safe est littéralement en train de détruire la lutte politique de l'intérieur. Pour expliquer pourquoi, je vais me contenter de citer deux textes que sont "Se défendre : Philosophie de la violence" d'Elsa Dorlin et "Militer : une activité safe ? Pour une critique politique de la notion d’espace safe" de Fania Noël.
Ils sont disponibles aux liens suivants :
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http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=180002 -
http://contre-attaques.org/magazine/article/militer-une Autant je peux demander sans trop de soucis de lire le second texte dans son intégralité, autant cela m'apparait comme plus compliqué pour le premier puisqu'il s'agit d'un ouvrage entier. Je vais donc me contenter de mettre ici les passages qui m'intéressent pour expliquer ce que je veux dire :
[...]
Bref, mon but n'est pas, clairement pas, de critiquer le cyber-militantisme. Je n’aurais pas fait un quart du chemin qui m'amène à penser ce que je pense aujourd'hui sans lui. Je n'aurais jamais autant lu sans lui. Simplement, il n'a pas le même objectif que le militantisme "de terrain" et j'en constate certaines dérives, qui me semblent dangereuses, parce qu'elles remettent en question notre volonté de transformation sociale pour se concentrer sur le bien être individuel et le pointage du doigt d'individus "problématiques". Nous vivons dans une société où nous sommes rendues faibles et impuissantes, jusque dans nos corps. Plutôt que de nous murer, prenons goût à notre propre force. Faisons trembler cette société qui nous méprise et nous tue.
Enfin, pour l'objectif, perso je ne vise pas une société égalitaire, terme qui sous-tend que l'on conserve deux catégories que l'on mettrait plus ou moins au même niveau, chose qui effectivement ne veut pas dire grand-chose. Ce que je vise, personnellement, c'est l'abolition du genre. L'abolition de la division entre hommes et femmes elle-même. Dit autrement : que la forme des organes génitaux ne serve plus de marqueur pour créer des catégories sociales, mais soit un paramètre parmi les dizaines et les dizaines qui font un être humain, et auquel l'importance sociale pourrait se résumer par la phrase "ok, vu".
Car pour moi, la hiérarchie précède la division. Lorsqu'une société crée des classes, c'est pour justifier la hiérarchie qui les lie à postériori. Par exemple, on a justifié l'infériorité des femmes par leur tempérament, par leur moindre force physique, par un cerveau plus petit, par leurs rôles sociaux qui ont été rendus naturels. Mais la hiérarchie était déjà là, la création et/ou la recherche frénétique de la différence ne sert qu'à la justifier.
Parole aux concerné.e.s ! Pour conclure cette partie beaucoup trop longue (et aussi beaucoup trop en retard (lancez moi des cailloux)), j'aimerai dire deux mots sur le "la parole des concernés" et sur l'essentialisation qui va souvent de pair avec cette affirmation.
A l'origine, on demandait que les oppressés prennent la parole prioritairement sur ce qu'ils subissaient pour deux raisons:
1) La première est que qui dit oppression dit invisibilisation. Alors attention, ne pas être représenté ne fait pas seul d'un groupe un groupe opprimé, l'invisibilisation n'en est qu'une manifestation.
Et surtout
2) En étant altérisé, les oppressés sont niés en tant que sujets politiques. Les moyens usés pour se faire varient selon les oppressions (la supposée bêtise du prolétariat due à un manque de culture bourgeoise, la supposée plus grande émotivité des femmes qui les rends incapable de décisions rationnelles, la sauvagerie des racisé.e.s etc.)
Le "la parole aux concernés", pendante du "ne me libère pas je m'en charge" avait donc à la base deux objectifs:
1) Faire contrepoids à ladite invisibilisation, via de l'action positive (et non de la discrimination positive qui est un terme imposé par les opposants au truc). La logique était peu ou prou la même que pour la parité: sans action contraignante sur les structures même de la prise de parole, on se retrouverait toujours avec les mêmes personnes qui parlent, et avec toujours les mêmes groupes qui se taisent. L'objectif était donc de court-circuiter ce mouvement de fond, en forçant la visibilité de ceux et celles qui ne l'avaient pas
2) Considérer les opprimés comme des sujets politiques, et donc les considérer capable d'analyse. Les penser capable de défendre seuls leurs intérêts, et donc de cesser de les regarder et de les considérer avec condescendance.
Cette formule permettait également de prendre en compte un apport qui personnellement me semble important: le point de vue situé de la parole. Du fait de son positionnement social, on aura tendance à plus s'intéresser aux sujets qui nous concernent (le sexisme pour les femmes, la transphobie pour les trans etc.) et surtout on pourra les voir sous un angle "nouveau", puisque l'expérience intime que l'on a de la discrimination nous permet d'en cerner des aspects qui ne sont que difficilement visible pour qui ne les vit pas. Typiquement la charge mentale aurait été bien plus difficile à appréhender sans chercheuses.
... Le problème, c'est qu'on est passé de ça à une essentialisation de la parole. Qui ici n'a jamais entendu quelque chose du style "osef de ton avis t'es pas concerné.e" ? Quand on n’est pas d'accord avec l'interlocuteur hein, car en réalité on s’accommode fort bien de la parole des dominants lorsqu'elle va dans notre sens, soyons honnêtes deux minutes. Ça a des vertus bien sûr, notamment de forcer un peu certains à tourner la langue dans leur bouche avant de parler, mais ça a surtout de gros inconvénients:
- On est passé très rapidement d'un stade où on avait des militantEs et sociologues qui faisaient de la vulgarisation à un stade où on estime que, dès l'instant où tu es dominée (ou plutôt "concerné.e" selon la terminologie en vigueur) tu as une connaissance innée des mécanismes sociaux qui régissent ta condition. Et, de fait, toute critique devient impossible. Dire que l'on doit être cru car on sait parce que l'on est, et non parce que l'on a un raisonnement logique, convainquant et basé sur des sources solides, c'est pour moi faire preuve de condescendance. C'est justement se nier comme sujet politique. Car justement le cœur de cette dernière, c'est d'être capable d'être mis face à la contradiction, à SES contradictions même, et de soit les franchir, soit les résoudre. Or la résolution de la contradiction passe nécessairement avec le fait de s'y frotter et de prendre le temps, et non de l'écarter d'un revers de main parce que désagréable.
En outre, on a vite fait de passer à quelque chose d'extrêmement malsain : la tokenisation. De soi-même ou des "concerné.e.s" qui pensent comme nous. Quelque chose contre lequel on a toujours mis une énergie incroyable à lutter: le fameux "oui mais ma tante dit que ce n’est pas sexiste alors ça va". S’il faut écouter les concernés, alors il faut écouter ladite tante, et là ça coince. Je pense qu'on gagnerait bien plus à évaluer les discours pour ce qu'ils sont, mais en prenant en compte qu'ils sont socialement situés, plutôt que de rejeter en bloc quelque chose qui ne nous plait pas si l'interlocuteur n'a pas la bonne étiquette. Et surtout, contre-argumenter, rigoureusement. Ça ne veut pas dire qu'il faut expliquer la vie pour la 20e fois à Jean-Michel Mascu, mais ça veut dire être théoriquement capable de le faire.
Autre souci, et non des moindre: la parole des concernés force l'outing. Si tu traines un peu dans ces milieux, que t'as envie de parler de ce qui te concerne t'as deux choix: soit t'outer, avec tous les dangers potentiels que cela comporte, soit être réduit.e au silence dans ton propre milieu au nom de la parole aux concerné.e.s, ce qui est assez ironique.
Les énonciations de privilèges dans le féminisme en ligne Autre problème qui va dans le même sens que ce qu'évoqué précédemment: les énonciations de privilèges. Si à la base elles avaient pour objectifs de justement montrer que l'on avait conscience d'être situé socialement (en utilisant des macro-catégories sociales, ce qui est un problème dans le cadre d'une analyse individuelle car ça manque de finesse mais bref) en plus d'être la manifestation de sa volonté de "laisser la parole aux concerné.e.s" et de l'intégration de codes de groupes basés sur la hiérarchie des savoirs sur un principe d'identité.
Saaauf que ces pratiques sont en contradictions avec les thèses qu'elles prétendent défendre en plus de tailler à la hache la théorie des savoirs situés énoncée plus haut.
Déjà, elles donnent l'illusion d'un sujet maitre de lui-même: dès l'instant où on a "checké ses privilèges" selon la terminologie en vigueur, où on reconnait son statut social, alors ce dernier se trouverait en quelque sorte annulé dans l'idéologie de celui qui parle et dans son discours. Ainsi, un homme cis qui admettrait qu'être un homme est un privilège dans la société occidentale aurait de fait un discours a-situé (l'énonciation du privilège le neutralisant symboliquement dans le discours), et ce ne serait que par conviction qu'il se trouve être, par hasard, proche des interprétations en vogue du mouvement sex-positif (et absolument pas parce que les intérêts de classe des hommes se concentrent pour partie dans le fait de soutirer un maximum de travail sexuel des femmes, quelle drôle d'idée). Elles donnent l'illusion d'un sujet maitre de lui-même et de son discours, or ce n'est pas le cas.
Autre problème: l'utilisation de grosses catégories démographiques. De fait, lesdites catégories sont trop grosses pour prendre en compte les rapports contextuels et locaux dans lesquels s'inscrivent les sujets (par exemple, les normes de virilité diffèrent selon que l'on soit dans une grande école bourgeoise parisienne ou au fin fond du limousin profond). Il s'agit de catégories héritées, qui agissent "de l'extérieur sur le discours" et qui charrient une conception de l'identité sans nuance, interprétable d'une seule manière et déjà constituée. Il y a alors naturalisation de ces catégories et leur pertinence dans l'approche et la description de l'identité ne peut être remise en question. Elles sont également trop larges: on peut citer par exemple la neuroatypie, souvent accusée d'être un énorme sac fourre-tout, le validisme (est-on jugée de la même manière selon qu'on soit en insuffisance respiratoire ou lorsqu'on est en fauteuil? Je ne pense pas. Sans compter que certains handicaps sont gênants pour certaines activités mais pas pour d'autres...).
Enfin, l'argument d'identité. Pendante glauque de l'argument d'autorité, il se manifeste toujours selon le même schéma: seuls les X peuvent parler des X ou corollairement les Y n’ont pas le droit de parler des X, où X est une catégorisée non-privilégiée et Y la catégorie privilégiée correspondante. Cet argument met en correspondance l'expérience et le savoir, or j'ai expliqué précédemment que ce n'est pas nécessairement le cas. Ce sophisme peut prendre des formes extrêmement virulentes, comme toute personne ayant déjà un peu trainé sur les réseaux sociaux le sait. Mais surtout paradoxe ultime: elle est en contradiction totale avec la théorie du savoir situé.
En effet, Haraway (la maman du truc) considérait que si l'expérience personnelle et intime que l'on a de la domination est un bon point de départ pour l'élaboration du savoir, elle ne constitue pas un point d'arrivée. Dans sa théorie, l'expérience est une perspective sur le monde, elle permet de l'aborder selon un certain angle, un certain point de vue. Mais cette vue seule ne suffit pas; elle doit être outillée par des instruments de vision: des concepts, des théories, une méthode qui eux seuls permettent d'élaborer du savoir.
Pire, Haraway se montrait extrêmement critique sur le lien automatique entre savoir et identité. Si elle disait que c'est d'un "moi divisé et contradictoire" que l'on doit partir, elle considérait également qu'un "moi" unifié qui "est" son point de vue n'est pas un point de vue justement: il reste collé, fusionné à son assujettissement. Le problème de dire "je suis X et donc je peux parler de X" est que, ce faisant, le sujet nie la pluralité des identités qui le constitue et nie le morcellement du sujet, mais il nie également les modes de production, de fonctionnement et de réception des différents systèmes de signes qui assurent et permettent une communication entre individus nécessaires à la production du savoir. Il reconduit alors une posture tronquée et irresponsable qui est celle des savoirs qui se considèrent comme neutres : Ne pas prendre en compte le point de vue ou y rester coller revient finalement pratiquement au même : aucune médiation, stratégie, ni perspective.
Dit autrement et pour citer une grande figure de l'afro-féminisme contemporain:
Bell Hooks a écrit :
Avec le temps, le slogan "Le personnel est politique" (qui était d'abord utilisé pour souligner que la réalité quotidienne des femmes est influencée et modelée par la structure sociale et qu'elle est donc nécessairement politique) a fini par encourager les femmes à penser que l'expérience de la discrimination, de l'exploitation ou de l'oppression impliquait automatiquement une compréhension des mécanismes idéologiques et institutionnels qui encadrent les statuts sociaux. En conséquence, de nombreuses femmes qui n'avaient pas entièrement examiné leur situation n'ont jamais développé de vision sophistiquée de leur réalité politique ni de son lien avec celle des femmes en tant que groupe social. Elles ont été incitées à se focaliser sur le fait de donner une voix à l'expérience individuelle.
Tout comme les révolutionnaires qui œuvrent à changer le destin des personnes colonisées partout dans le monde, il est nécessaire que les militantes féministes soulignent le fait que la capacité à voir et à décrire des réalités individuelles est une étape importante dans le long processus d'auto guérison, mais que c'est seulement un point de départ. Quand les femmes ont intégré l'idée que décrire leurs propres malheurs était synonyme de développer une conscience politique critique, le mouvement féministe a arrêté de progresser. Il n'est pas surprenant que les théories et stratégies qui ont été développées sur des bases si incomplètes se soient révélées collectivement insuffisantes et peu pertinentes.
Afin de corriger cette insuffisance des analyses élaborées par le passé, nous devons maintenant encourager les femmes à développer une compréhension profonde et globale de leur réalité politique en tant que groupe. De plus larges perspectives ne peuvent émerger que si nous analysons à la fois le personnel qui est politique, les enjeux politiques sociétaux dans leur ensemble et les perspectives politiques révolutionnaires globales.
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Le féminisme matérialiste en 5 minutes Zicielka Je peux me tromper, mais je pense qu'il y a mécompréhension sur ce qu'est le matérialisme.
J'vais essayer d'expliquer en quoi consiste cette méthode d'analyse (et non ce discours), en plus ça tombe bien parce que je n'avais jamais pris le temps de le faire sérieusement ici.
En gros, le matérialisme, c'est un courant du féminisme radical (radical dans le sens qui entend remonter aux racines de l'oppression des femmes: un système distinct du capitalisme bien qu'y étant lié: le patriarcat) qui postule que les hommes et les femmes sont non des catégories biologiques innées, mais au contraire de pures constructions sociales.
Mais pas n'importe quelles constructions sociales : A la manière du prolétariat et de la bourgeoise dans la théorie matérialiste de Marx (d'où vient le nom du courant), les femmes et les hommes constituent des classes de sexe, liées entre elles par des rapports d'exploitation : la classe des hommes tire son pouvoir et sa domination de l'exploitation des femmes, notamment à travers le travail ménager et domestique, et de l'assignation des femmes au travail reproductif, vu comme leur rôle "naturel".
De fait, ce qui définit les hommes ce n'est pas leur socialisation, leur ressenti ou quoi que ce soit de ce genre. Ce qui définit le fait d'être un homme, c'est le bénéfice que l'on tire de l'exploitation des femmes, et réciproquement pour les femmes. Ces dernières peuvent, bien entendu, mettre en place des stratégies de résistances individuelles ou collectives, et certaines peuvent s'avérer très efficaces. Mais jamais elles ne pourront atteindre les hommes, ou alors seulement à un prix extrêmement plus élevé, et pas sur tous les plans.
Cette exploitation, qui a lieu dans le couple hétérosexuel, a bien évidemment des conséquences sur tous les autres aspects de la vie sociale, à commencer par le travail salarié. Puisque les femmes sont également en charge du travail domestique (que ce soit vrai dans les faits ou pas, on estime que c'est le cas), on sera plus frileux à l'idée de leur donner des positions de pouvoir, car elles devront gérer ET le travail domestique, gratuit et non reconnu, ET le travail salarié.
De même, cette assignation au foyer est justifiée A POSTERIORI par la nature. Les femmes sont réputées plus douces, plus empathiques, elles ont de l'instinct maternel...
C'est pour cela que nous, matérialistes, disons que le genre précède le sexe: la hiérarchie précède la division.
Mieux: que la division sert à justifier la hiérarchie à posteriori. Que les différences soient réelles ou non n'a de fait aucune importance. Toute chose est différente de ce qui l'entoure, et cette différence n'est pas relative mais absolue (une carotte est aussi différente d'un ventilateur qu'un ventilateur l'est d'une carotte). Or ce n'est pas le cas des femmes et des hommes. Les femmes sont différentes / complémentaires des hommes... qui eux ne sont différents de rien. Ils sont la valeur par défaut, le maître étalon auquel on se réfère. Or les hommes sont ce qu'ils sont parce qu'ils exploitent les femmes, qui sont elles-mêmes ce qu'elles sont parce qu'elles sont exploitées ou préparées à l'exploitation par les hommes. Aussi, vouloir que les femmes "s'élèvent" pour atteindre les hommes est un non-sens. Comme l'écrit Christine Delphy dans
Classer, Dominer : Qui sont les Autres Christine Delphy a écrit :
Les caractéristiques des dominants ne sont pas vues comme des caractéristiques spécifiques, mais comme la façon d’être… normale. Bien sûr, elle ne l’est pas plus que celle des dominé.e.s. Et ces mêmes dominants somment les dominés.e.s… d’être comme eux. Sinon, eh bien sinon, c’est normal que vous n’ayez pas le droit de –entre autres choses, voter, conduire, obtenir ne promotion, avoir un logement décent, un travail correspondant à vos qualifications, vous promener sans votre carte d’identité ou tard le soir, etc.
Mais comment les Autres pourraient-ils/elles être comme les Uns ? Quand les Uns ne sont Uns que parce qu’ils oppriment les Autres ?
Or ce fait est nié et dénié en permanence. Les façons de faire et d’être du groupe dominant ne sont pas présentées comme ce qu’elles sont – des façons qu’il ne peut avoir que parce qu’il domine – mais comme la norme, comme l’universel. Et puisque c’est sur l’oppression des Autres que repose la capacité des Uns d’avoir ces façons, il tombe sous le sens que les Autres ne pourront jamais avoir ces façons, ni demain ni dans mille ans. Les Autres n’arriveront jamais à se couler dans ce qui est présenté comme une norme universelle, valable pour tous et toutes et que tous et toutes peuvent atteindre. Ce qui est une conséquence de l’altérisation et de l’altération de certains par les Uns sera interprété comme l’échec, et en tout cas la responsabilité des Autres. Les privilèges des Uns, gagnés sur le dos des Autres, apparaitront au contraire comme la juste récompense de leur capacité à atteindre la norme.
Aussi notre objectif n'est pas l'égalité. Notre objectif est l'abolition du genre lui-même. De la division en classe de sexe de l'humanité elle-même.
Autre chose qui me semble primordiale dans l'analyse matérialiste, c'est que contrairement à l'analyse libérale, qui postule que l'oppression des femmes est dû à un problème d'éducation et non à une question d'exploitation par une classe qui en a le pouvoir, c'est de postuler que la révolution féministe est possible DE NOTRE VIVANT. Il n'y a pas besoin d'attendre des dizaines et des dizaines de générations, de progresser petit pas par petits pas jusqu'à avoir une génération assez WoOke et non-sexiste pour abolir le patriarcat. Si les structures font les hommes, alors il est possible de changer si profondément les structures que les esprits seront obligés de suivre.
Et je vois difficilement moyen d'être porteur d'un plus grand message d'espoir pour nous et nos sœurs. Nous pouvons construire un monde sans genre et sans exploitation. Ici et maintenant.
Ce qui est amusant dans ton rejet du matérialisme... c'est que quand tu as vaguement parlé d'antiracisme politique, tu as eu un raisonnement matérialiste. Les blancs tirent parti économiquement des personnes racisées et de leurs (anciennes) colonies, et altérisent les personnes de couleur pour justifier ladite exploitation. Les blancs ont rendu les noirs différents et sauvages en produisant du discours pour justifier l'esclavage APRÈS avoir commencé à pratiquer ce dernier à une échelle industrielle (bon en vrai c'est un peu plus compliqué que ça mais je fais vite). En mobilisant, d'ailleurs, des discours sur le genre (en gros en disant que vu que la division homme / femme de ces sociétés étaient moins marquée que chez nous d'après les observateurs occidentaux, alors ces peuples étaient plus primitifs).
Après je le concède sans souci, y'a sur twitter des gens qui se réclament du matérialisme pour se placer dans selon elleeux dans le "camp du bien" contre les méchants "pipousafes" (qui, même s’ils ne forment pas du tout un groupe homogène comme l'appellation le laisse croire, ne sont pas parfaits non plus), et y'a dans les gens qui s'en réclament de sacré abrutis. Et y'a (eu) de nombreux abus. Et y'a des gens qui s'en réclament alors qu'iels seraient incapable de pondre un véritable raisonnement matérialiste. Bref, twitter peut-être le meilleur des outils, mais aussi le pire, quel que soit sa grille de lecture théorique.
Après oui je l'avoue: vu qu'on essaie de se baser sur la matérialité des rapports sociaux, notre analyse est, effectivement, extrêmement violente. Parce que les rapports de genre sont violents, les dévoiler l'est aussi. Mais pour détruire le genre, pour détruire l'exploitation, il faut d'abord la mettre à nu. En analyser les rouages, les sinuosités, les contradictions.
Car le but de la politique (car, rappelons-le, le féminisme est un combat qui vise la transformation sociale et est donc un combat
politique, par opposition aux nouveaux mouvements sociaux qui se basent sur l'indignation décrits par Neveu) n'est pas d'être agréable. J'irais même plus loin en disant qu'il ne
peut pas l'être, puisque se réclamer de l'un de ses mouvements implique de faire s'opposer ses intérêts de classe à ceux d'une autre classe qui en plus est, ici, dominante socialement.
Ce qui ne veut pas dire que la lutte ne peut pas dégager d'affects positifs. Je pense même qu'elle
doit en dégager, car nous sommes mus par nos affects, qu'ils soient positifs ou négatifs. C'est notamment pour ça que créer de la sororité est un enjeu féministe majeur, et c'est également pour ça que je crois au collectif comme seul mode d'action valable car seul moyen d'en dégager hors de la recherche de sa satisfaction immédiate.
Donc oui, il est possible que mon discours t’apparaisses comme violent (et foutrement long aussi), et je m'en excuse par avance. Cependant, je pense que ce que j'ai posté plus haut sur les safe space comme anesthésiant de la volonté révolutionnaire est assez parlant.
Sources et articles utilisées et cités plus ou moins directement (en vrac déso):
- Sociologie des mouvements sociaux. Erik Neveu
- Introduction aux études sur le genre. Manuel collectif sous la direction de Laure Bereni
- Encyclopédie critique du genre, entrées homo/hétéro et bicatégorisation
- Le pédé, la pute et l'ordre hétérosexuel. Isabelle Clair
https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2012-1-page-67.htm- Se défendre, philosophie de la violence. Elsa Dorlin
http://www.editions-zones.fr/spip.php?page=lyberplayer&id_article=180002- Sexe, genre et sexualités - Introduction à la théorie féministe. Elsa Dorlin
- Les « énonciations de privilèges » dans le militantisme féministe en ligne : description et critique - Noémie Marignier
https://journals.openedition.org/aad/2309#tocto1n4- "Tu me fais violence!" la rhétorique néolibérale de la blessure, du danger et du traumatisme - Revue Vacarme
https://vacarme.org/article2766.html- Militer : une activité safe ? Pour une critique politique de la notion d’espace safe - Fania Noël
http://contre-attaques.org/magazine/article/militer-une- Five faces of oppression - Iris Young
https://mrdevin.files.wordpress.com/2009/06/five-faces-of-oppression.pdf- J'ai une femme exceptionnelle. Carrière des hommes hauts fonctionnaires et arrangements conjugaux - Alban Jaquemart
https://f-origin.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/1581/files/2014/12/114-femme-exceptionnelle-carrieres-hommes-hauts-fonctionnaires.pdf- Le marxisme, outil ou obstacle au féminisme ? Entendez-vous l'éco? Sur France Culture
https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/des-nouvelles-de-marx-44-marxisme-et-feminisme- Classer, dominer, qui sont les "autres"? Christine Delphy
- L'ennemi principal - Penser le genre - Christine Delphy
- Sexe race et pratique du pouvoir, l'idée de Nature - Colette Guillaumin
https://leseumcollectif.wordpress.com/2017/03/08/colette-guillaumin-le-sexage-et-nous-part-1/- Les courants de la pensée féministe - Cours de Louise Toupin, UQAM
http://1libertaire.free.fr/Histoirefeminisme01.html- La matrice de la race - Elsa Dorlin
- Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur - K.W Crenshaw
https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2005-2-page-51.htm- De la marge au centre. Théorie Féministe – Bell Hooks
- J'en oublie lol
En guise de conclusion, et pour vous remercier d'avoir lu jusque-là, voici un phoque avec le hoquet
Lien de l'image externePS vu qu'un peu avant ça parlait d'horologe biologique et d'instinct maternel ça peut intéresser des gens:
https://www.theguardian.com/society/2016/may/10/foul-reign-of-the-biological-clock Foul reign of the biological clock - The Guardian
https://www.scienceshumaines.com/y-a-t-il-un-instinct-maternel_fr_2849.html Y'a-t-il un instinct maternel? Magazine sciences humaines
https://gendersociety.wordpress.com/2017/05/15/there-is-no-maternal-instinct/ There is no maternal instinct - Gender & Society
Vous avez le droit de m'envoyer des cailloux en MP pour mon retard et mon incapacité à la concision.
Dernière modification par Evelirune (Le 13-07-2018 à 13h04)